Les bonnes pratiques pour limiter la résistance aux antibiotiques
Habituellement, c'est plutôt l'émergence de nouveau germes (H5N1, Sras, Mers-Cov, etc.) ou la crainte d'épidémie d'Ebola ou autres virus redoutables, qui fait trembler les scientifiques. Cette fois, l'ambition de l'OMS, à travers ce premier bilan mondial de l'antibiorésistance publié le 30 avril, est de faire prendre conscience à l'opinion publique internationale que le péril le plus immédiat vient peut-être d'abord de germes familiers. Ceci à cause de leur résistance croissante aux antimicrobiens : antibiotiques, antiviraux, antifongiques, antiparasitaires.
Victimes de leurs succès, les antibiotiques sont largement prescrits, ce qui contribue à faciliter l'adaptation des bactéries. L'enjeu est mondial, car les germes se jouent des frontières. "À moins que les nombreux acteurs concernés agissent d'urgence, de manière coordonnée, le monde s'achemine vers une ère pos-tantibiotiques, où des infections courantes et des blessures mineures qui ont été soignées depuis des décennies pourraient à nouveau tuer ", a déclaré hier le Dr Keiji Fukuda, sous-directeur général de l'OMS pour la sécurité sanitaire.
À l'échelon individuel, le bon usage des antibiotiques implique le respect de certaines règles. D'abord, il ne faut prendre ce type de médicament que lorsqu'un germe est suspecté. Et il doit s'agir d'une molécule active contre le germe en question. En fonction du site infectieux et donc de la probabilité de rencontrer tel ou tel germe, les médecins utilisent l'arme qui leur paraît statistiquement la plus efficace.
Respecter les posologies
Parfois, un prélèvement est réalisé avant de débuter le traitement, en particulier si le patient est fragile (nourrisson, malade immunodéprimé, etc.) ou exposé à des germes potentiellement résistants notamment parce qu'il est hospitalisé. Le prélèvement sera mis en culture et testé avec différents antibiotiques pour ajuster éventuellement le traitement dès les résultats connus. Il arrive que le germe ait une sensibilité diminuée à l'antibiotique, ce qui nécessitera d'augmenter les doses, voire qu'il soit complètement résistant ce qui impliquera de changer de molécule. Des chercheurs développent des jeux de simulation bactérienne, à l'instar de l'équipe Beagle du Pr Guillaume Beson à l'Inria de Lyon, pour permettre aux prescripteurs de s'entraîner au bon choix antibiotique. On comprend qu'il soit dangereux de décider soi-même, sans avis médical, de quel antibiotique on pense avoir besoin.
A fortiori lorsqu'une infection récidive peu de temps après une guérison apparente. Le fait qu'un antibiotique ait semblé efficace "la dernière fois " est peut-être justement le signe qu'il faut cette fois-ci changer de famille : il est possible qu'il s'agisse d'un germe ayant résisté au traitement précédent et qui a tranquillement proliféré jusqu'à causer la nouvelle infection.
Le risque existe en particulier lorsque l'on ne prend pas son traitement jusqu'au bout ou si l'on ne respecte pas les posologies et heures de prises indiquées. Car les premiers jours, l'antibiotique détruit les souches les plus sensibles, mais c'est parfois à la fin du traitement que les plus résistantes sont détruites. "Écourter un traitement ou le sous-doser est le meilleur moyen de faire émerger une résistance ", met en garde le Pr Pierre Faure, pharmacien (hôpital Saint-Louis, Paris) et membre de l'Académie de pharmacie.
Pour lui, l'intention affichée mercredi par la ministre de la Santé, Marisol Touraine, d'expérimenter la vente des antibiotiques à l'unité (le pharmacien ne délivre que la quantité exacte d'unités nécessaires au traitement, NDLR) "est une très bonne idée ".
Pharmacie : quel retour d’expérience pour la distribution à l’unité d’antibiotiques?
Une centaine d’officines a testé la distribution d’antibiotiques à l’unité en 2014 et 2015. Une pratique plutôt bien acceptée par les patients. L’expérimentation a fait l’objet d’une évaluation remise au ministre de la Santé.
Dans le but notamment de diminuer les résistances, une centaine de pharmacies françaises ont testé en 2014 et 2015 la distribution d’antibiotiques à l’unité. Les malades repartaient alors avec le nombre exact de comprimés nécessaire à leur traitement. Ceci afin, essentiellement, d’éviter une automédication ultérieure et de faciliter l’observance (la manière dont un patient suit les recommandations de son médecin ou de son pharmacien).
En effet, lorsqu’un antibiotique est prescrit, il l’est pour la durée la plus courte possible en fonction des bactéries mises en cause. C’est, par exemple, 3 jours pour une infection urinaire ou 5 jours pour une pneumonie. Il est inutile de prolonger la durée de traitement car lorsque les bactéries pathogènes ont toutes disparu, l’antibiotique risque d’attaquer les bonnes bactéries de la flore intestinale qui risquent de développer des résistances.
Une équipe de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a évalué cette expérimentation: sur les cent pharmacies réparties dans quatre régions, 25 étaient "témoins", c’est-à-dire qu’elles continuaient à délivrer des boîtes complètes, et 75 donnaient uniquement le nombre de pilules nécessaire à la durée du traitement. "Tout d’abord, la pratique a été plutôt bien acceptée par les patients. Seulement 19% d’entre eux ont refusé de se voir délivrer les médicaments à l’unité au cours de l’expérience", affirme au Figaro Bruno Ventelou, chercheur en économie de la santé au CNRS qui a mené l’étude.
Seulement 19% des patients ont refusé de se voir délivrer les médicaments à l’unité
Autre enseignement, six fois sur dix le pharmacien ne pouvait délivrer la boîte dans sa totalité et devait déconditionner les comprimés pour répondre à la prescription du médecin. Par exemple, sur une boîte de 20 comprimés, 18 seulement étaient nécessaires au traitement. Impossible en revanche d’analyser si cette inadaptation est liée à une prescription non conforme aux recommandations ou au stock disponible en pharmacie à ce moment-là.
Le chercheur a également mesuré l’observance en demandant aux patients à la fin de leur traitement s’il leur restait des comprimés. "C’est un effet inattendu: la dispensation à l’unité a favorisé l’observance. Dans le groupe qui avait reçu un traitement à l’unité, nous avons constaté deux fois moins d’inobservants", explique Bruno Ventelou. Et lorsqu’ils n’avaient pas terminé leur traitement, les patients du groupe "à l’unité" étaient beaucoup moins nombreux à déclarer vouloir utiliser ultérieurement les antibiotiques en automédication que ceux du groupe "boîte entière". Cette évaluation est aujourd’hui sur le bureau de Marisol Touraine.
Acheter des médicaments en ligne: il y a-t-il des risques ?
Près de 50% des produits en vente sur Internet sont des faux, contenant au mieux du sucre ou de l'eau, au pire des substances dangereuses. Si la contrefaçon est un réel problème de santé publique dans les pays en développement où elle peut représenter plus de 50% des médicaments utilisés, elle reste heureusement absente en France du circuit officiel et aucune contrefaçon n'a été à ce jour découverte dans les pharmacies d'officine. Le consommateur français est protégé de ce fléau grâce à une maîtrise de la distribution pharmaceutique très réglementée, depuis le fabricant jusqu'au pharmacien d'officine en passant par le grossiste-répartiteur. Avec la nécessité d'une traçabilité de l'ensemble de la chaîne, c'est-à-dire la possibilité de remonter aisément à la source en cas de doute.
Acheter des médicaments sur Internet, c'est tentant soit parce que l'on n'ose pas les demander à son médecin ou à son pharmacien, soit parce qu'il s'agit de produits "défendus". Mais, attention, le médicament n'est pas un produit comme les autres. Il est dangereux d'acquérir sans contrôle un produit qui n'a pas été prescrit ou délivré par un professionnel de santé. Le risque est alors lié à un usage non adapté du produit (indications non validées, contre-indications ou précautions d'emploi non respectées).
Or, dans plus de la moitié des cas, le produit acheté sur Internet est contrefait, c'est-à-dire qu'il risque de ne contenir aucun produit actif, des produits sous-dosés ou des produits différents de ceux annoncés, voire des produits toxiques. On risque au mieux ne pas être traité efficacement, au pire de développer des effets indésirables liés à la composition du produit. C'est ainsi qu'en Afrique s'est développée à cause des contrefaçons et des produits sous-dosés une résistance désastreuse aux antibiotiques, aux antipaludiques et aux antituberculeux.
Ces faux médicaments ne sont pas des malfaçons dues à des mauvaises conditions de fabrication. Ils sont destinés à tromper l'utilisateur car prenant le masque de vrais médicaments. Il ne faut pas les confondre non plus avec les génériques qui sont la copie légale de médicaments existants dont le brevet est tombé dans le domaine public. Les génériques sont des vrais médicaments.
Les contrefaçons concernent principalement des médicaments dits "de société", touchant au mode de vie : traitements de la dysfonction érectile, anabolisants pour les sportifs, hormones mais aussi les antiviraux en période de grippe et de pénurie. On a aussi saisi des pilules contraceptives totalement inefficaces et des préservatifs non étanches. Le matériel médical (lentilles de contact, prothèses, seringues…) n'y échappe pas.
Activité criminelle
Nous sommes en face d'une activité criminelle internationale organisée et en constant perfectionnement, ce qui complique sa détection. Pour l'industrie, il s'agit de rechercher des solutions technologiques visant à garantir la traçabilité des produits et de travailler avec les pharmaciens pour sécuriser la distribution. Mais il est quasiment impossible d'identifier des produits contrefaits. Même avec une vraie boîte sous les yeux pour comparer, un spécialiste a du mal à reconnaître un faux. Les techniques modernes d'impression sont passées par là. Seul un contrôle en laboratoire de la composition du produit permettrait de faire la différence, ce qui n'est pas à la portée du consommateur.
Actuellement, aucun site Internet n'est autorisé à vendre un médicament à partir de la France et pour les sites étrangers aucun contrôle ne peut s'exercer sur eux. Évitons donc de prendre ces risques en achetant sur Internet et restons vigilants. Toute anomalie doit nous alerter, qu'il s'agisse de l'apparence du conditionnement ou si un médicament que nous prenons régulièrement semble moins efficace ou entraîne des réactions inhabituelles. Dans le doute, il faut en parler à son médecin ou à son pharmacien.
Faut-il aller au bout de son traitement antibiotique ?
Au nom de la lutte contre l’antibiorésistance, des scientifiques britanniques remettent en cause les recommandations internationales qui enjoignent aux patients de terminer leurs traitements antibiotiques.
En France, la consigne est claire: "Veillez à bien respecter la dose, la durée du traitement antibiotique et n’arrêtez pas votre traitement prématurément. Même si votre état s’améliore, l’antibiotique doit être pris jusqu’au bout." Délivrées par le Ministère de la santé, ces directives se fondent sur les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en la matière.
Deux arguments sous-tendent ces consignes: premièrement, en arrêtant les antibiotiques, le patient prend le risque de retomber rapidement malade si la bactérie responsable n’est pas éliminée. Deuxièmement, l’arrêt du traitement pourrait favoriser une sélection de bactéries résistantes aux traitements antibiotiques.
Quelle durée optimale des traitements?
Dans une tribune publiée dans le British Medical Journal, dix experts britanniques remettent en cause ce postulat. Selon le professeur Martin Llewelyn, spécialiste des maladies infectieuses, et neuf autres spécialistes: "On pourrait conseiller aux patients d’arrêter le traitement quand ils se sentent mieux, en contradiction avec l’avis de l’OMS".
Pour arriver à cette conclusion, les scientifiques s’appuient sur un constat: la durée optimale des traitements par antibiotiques n’est pas connue. Par exemple, les béta-lactamines, classe d’antibiotiques parmi les plus utilisés dans le monde, sont recommandés pour 10 à 14 jours, "mais aucune étude sur des temps plus courts n’a été menée", notent les scientifiques. Ce qui augmente de fait la durée des traitements.
Or, d’après eux, en fonction de l’individu (âge, sexe, antécédents médicaux etc.), les durées de traitement pourraient être réduites. Et avec eux, la consommation superflue d’antibiotiques: "réduire cette consommation inutile est nécessaire pour atténuer la résistance antibiotique", assurent ces chercheurs.
Un message dangereux
Une prise de position qui soulève un débat dans la communauté scientifique. Tous les spécialistes contactés par le Figaro considèrent que le papier soulève de bonnes questions, notamment concernant la durée optimale de traitement par antibiotiques. Mais ils alertent sur le "message dangereux" que véhicule cette tribune. "Déjà que nous avons du mal à ce que les patients suivent l’intégralité du traitement, là c’est vraiment n’importe quoi!", s’insurge Patrice Nordmann, professeur de microbiologie à l’Université de Fribourg (Suisse) et directeur de l’unité Inserm "Résistance émergente aux antibiotiques".
Tout d’abord, les spécialistes contactés considèrent qu’il n’est pas possible de laisser au patient la discrétion d’arrêter tout seul son traitement, car la sensation d’ "aller mieux" est arbitraire. La prise concordante d’un traitement contre la fièvre et d’un traitement antibiotique peut amener le malade à croire qu’il va mieux sans que son état ne se soit réellement amélioré.
Davantage d’études nécessaires
Tous regrettent également le manque de preuves scientifiques dans cette tribune, qui ne présente aucune étude. Même si elles sont imprécises - du fait de l’hétérogénéité de la population qui prend des antibiotiques- , "les doses, les durées et les temps d’exposition aux antibiotiques ont été établis par des essais cliniques", explique Thierry Naas, praticien hospitalier et directeur du laboratoire associé du Centre de référence national de résistance aux antibiotiques.
Dans l’attente de ces essais cliniques qui confirmeront ou infirmeront les dires des Britanniques, "il faut rester dans les recommandations des sociétés savantes", plaide le Dr Thierry Naas. "Après, certaines recommandations peuvent évoluer avec le temps, mais pour le moment, il faut garder cette ligne de conduite".